Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Club des Insurgés
17 juin 2016

Jo Cox: vie et mort de notre époque

Joe Cox, députée britannique, a été tuée ce jeudi

Jo Cox ne représentait pas l’anti-Brexitism, elle l’incarnait. Elle était de nos super-héros dont la mission est de nous sortir de nos vieux carcans pour nous ouvrir au monde. Elle entendait nous apprendre à dire nous mais au pluriel et avait logiquement choisi l’Union Européenne. Mais sa véritable force résidait dans le fait qu’elle était taillée pour le job. Issue d’un milieu populaire, Jo Cox était allée à l’école publique, comptait ses sous et travaillait l’été dans l’entreprise qui employait déjà son père, quand ses gosses de riches de copains pouvaient se payer des vacances. Elle s’était avérée bonne élève, était allée à l’Université, à Cambridge, avait étudié les sciences politiques puis l'économie (à la London school of economics). Elle s’était débrouillée, était entrée dans les cercles autorisés, avait accédé à un niveau social bien supérieur à celui dont elle était originaire. C’était une femme, elle avait choisi l’humanitaire (Oxfam) puis avait déboulé en politique, à gauche bien sûr, au moment de l'émergence de Jeremy Corbin et de ce nouveau style travailliste qui tente, comme Mélenchon chez nous, de dépoussiérer les biblos de la Grande Bretagne des 70’s: Unions on strike, veste en jean et cheveux indisciplinés.  Elle était belle, incarnait la petite du peuple devenue riche mais qui n’a pas oublié son passé. Sa vocation c’était l’Autre, le pauvre, le déshérité, le minoritaire. Elle était pour l’immigration, la société multi-culturelle, s’était engagée pour une Syrie ni Bashar / ni Daesh, elle était souriante et vivait sur une péniche amarrée à un quai de Londres. C’était une icône, presque jusqu’à la caricature, du progressiste modèle, immaculé, que tous les jeunes engagés d’aujourd’hui rêvent de devenir.

Mais comme dans tous les pays d’Europe, sa force était aussi une faiblesse. Les patriotes lui ont arraché ce peuple auquel elle se pensait définitivement abonnée de par son origine sociale. Pour elle, son passé populaire des années 70/80, fortement marqué par le tatchérisme, suffisait à prouver aux britanniques qu’elle comprenait leurs souffrances. Mais elle n’était plus à la page. En trente ans, les causes de la gronde sociale d’outre-manche ont changé de nature et se sont démultipliées: désindustrialisation massive provoquant un tarissement de la demande en main-d’oeuvre,  immigration qui a fait gonfler l’offre en main d’oeuvre, crise financière de 2008, Union Européenne. Elle n’a pas compris le pourquoi de ce retour au patriotisme. Elle s’est aveuglée. Elle était manichéenne, ne pensait pas avoir à confronter des idées avec les conservateurs mais imaginait simplement avoir épousé le camp du bien, de la gentillesse, de la générosité, face aux mauvais, aux méchants, aux égoïstes, qui manipulent les gens. La mise en minorité de son parti aux élections de 2015 a été vécue par elle comme la preuve que son combat était juste et non comme une désapprobation. Son dernier combat fut de défendre la présence de la Grande Bretagne dans l’Union Européenne. Elle a été tuée hier par un inconnu alors qu’elle sortait de la bibliothèque de Bristall, où elle tenait une permanence.

Ce crime est ignoble. On ne connaît pas les intentions réelles de l’agresseur. Un témoin prétend l’avoir entendu crier “Britain First” mais ce témoignage a été mis en doute. Peu importe le mobile, politique ou non, tuer une personne de sang froid ne trouve aucune justification acceptable pour un Homme digne de ce nom. Mais on ne peut qu’être frappé par le traitement politique de ce crime. Aucune prudence n’est prise et la malhonnêteté intellectuelle fonctionne à plein régime. Ainsi, nous apprenions non pas la mort d’une députée (member of parliement) mais la perte d’une militante pro-in. Des personnes que j’ai pu voir combattre bec et ongles l’amalgame entre Islam et terrorisme, il y a encore quelques mois sur leurs comptes Facebook, hurlent aujourd’hui au nationalisme criminel. Les mêmes qui crient au complot policier à propos des casseurs ne se soucient guère aujourd’hui de nuancer leurs invectives envers les pro-Brexit. En effet, les derniers sondages donnaient ces derniers vainqueurs et ce avec à chaque fois plus de marge. S’il y en avait bien un qui avait intérêt à arrêter la campagne, ce n’est pas le camp du out. Mais restons raisonnables et ne tombons pas dans le travers dénoncé seulement quelques lignes plus haut: il faut se montrer prudent.

A titre personnel, je soutiens le Brexit. La mort de Jo Cox, mère de deux jeunes enfants, n’est certainement pas une source de réjouissance. La politique devrait être une chevalerie moderne et il faut s’efforcer de la concevoir ainsi. Sans les errements actuels, il devrait y avoir des codes, des manières, un sens de l’honneur. Je préfère être mis en difficulté, et même battu, par un adversaire engagé dans un duel magnifique où les arguments de qualité s'enchaînent pour construire une argumentation claire, logique et cohérente, plutôt que de m’imposer comme un malpropre sur une attaque personnelle ou un coup bas. C’est toute la politique qui se trouve endeuillée aujourd’hui, pas seulement les pro-in. De plus, l’arrêt de la campagne et les amalgames grossiers (et tout cela était prévisible) portent un coup très violent aux partisans du Brexit qui, sans jamais avoir voulu tuer qui que ce soit pour leurs idées, se retrouvent étiquetés “sanglants nationalistes” alors qu’ils ne cherchent qu’à trouver des solutions pour leur pays dans une Europe en panne.

Le retour de la passion politique achève de nous sortir des soixante-dix ans de paix que l’Europe a connu. La paix de l’empire diront certains. Le monde change et la cécité de certains a généré de graves ressentiments chez les peuples. Il suffit d’un déséquilibré pour qu’un propos politique traduisant une peur, un agacement, une attente particulièrement pressante, ne dégénère en crime, en guerre civile ou en révolution. Il est fort probable que ce soit cette réalité qui soit à l’origine de cette tragédie. Le pilote automatique américain est en train de nous lâcher et l’Union Européenne se retrouve au chômage technique. Si Jo Cox a été tuée par un fou, il faudra remarquer que celui-ci est l’expression exceptionnellement brutale, violente (et intolérable bien sur) de cette demande de reprise en main de la politique par les patries. C’est la même chose qu’avec le terrorisme islamique. On ne saurait estimer que l’Etat Islamique représente l’Islam politique à lui tout seul mais ses attentats nous mettent sous le nez un fait que l’on refuse de voir: le retour de l’Islam comme moteur politique des sociétés moyen-orientales. Passion des uns, aveuglement des autres, Jo Cox incarne de la manière la plus dramatique qui soit la mort d’une époque.

Qu’elle repose en paix- MP

Publicité
Publicité
Commentaires
Le Club des Insurgés
  • Le Club des Insurgés est un espace dédié à l'esprit. Nous vous proposons de redécouvrir des sujets d'actualités sous un point de vue critique différent de celui des canaux traditionnels. Bienvenue à tous et bonne lecture !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité