Chroniques d'une élection : le diable se cache parfois dans bébé
Le braillard du Paris-Lyon de cet après-midi peut légitiment être revendiqué par l’Etat Islamique. Un carnage. Me retrouvant bien malgré moi sur la ligne de front, aussi appelé club quatro, je m’assois et remarque la mère au regard craintif, placée en face de moi, qui tient dans ses bras le bourreau de mon dimanche. Il me fait face, en position assise sur les genoux de sa pauvre génitrice. À ce moment, et même si je m’inquiète déjà pour la quiétude du voyage, l’enfant sourit, paraît calme. Je l’ignore alors mais ce visage d’ange hantera mes cauchemars de train pour un temps encore indéterminé. Dès que le train s’ébranle, le gosse entre littéralement en irruption. Ça commence fort. Rouge écarlate, il donne tout. Je crois d’abord à une performance sur courte distance, qui amènera rapidement le chiard à l’épuisement, et replonge dans ma lecture. J’évaluais la situation en amateur. Ce nourrisson est l’enfant du démon, rien ne stoppe sa fureur. Après vingt minutes, je saisis que j’ai affaire à un athlète. Combattant sur tous les fronts, il est alors l’auteur d’un fumet insoutenable qui commence à embaumer le wagon. Il est un enfer ferroviaire dans lequel les passagers préféreraient peut-être encore que le train saute plutôt que d’avoir à subir ce genre d’attaque chimique. Mon avis sur l’interruption prématurée de la phase « couche » de bébé est désormais scellé. Soudain, alors que le père entreprend de le sortir du carré pour le changer (il était temps), le fils de Satan comprend que sa représentation est compromise et prend une mesure de rétorsion en rendant l’intégralité de son déjeuner sur le bras de son père, la table, sa mère, le sac de sa mère mais manque par miracle ma chaussure. Je manque de me signer par extrême reconnaissance envers cette intercession divine mais m’abstiens afin de ne pas attenter à une paix sociale ne tenant déjà plus qu’à un fil. Un fil justement, c’est maintenant ce qui retient Belzebuth junior à l’accoudoir du siège de sa mère. Il arbore un splendide regard de satisfaction, offrant ainsi un caractère démoniaque au rare retour au calme qu’ils nous aura concédé. Son paternel rouge pivoine n’est pas à son aise. Il tente un temps de manoeuvrer délicatement le corps de son fils pour le décrocher mais la substance manifestement trop fibreuse de son renvoi l’oblige à y aller plus franchement, avec les doigts, ce qui provoque une expression horrifiée sur le visage de l’adolescente rebelle -ma voisine- qui semble soudain avoir la révélation de l’importance de l’autorité parentale. Enfin tranquille, je m’essuie le front discrètement. Aujourd’hui, j’ai croisé le regard du malin en allant faire mon devoir de citoyen. J’espère qu’il n’y a rien de prémonitoire là dedans pour ce soir.