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Le Club des Insurgés
17 décembre 2016

Alep: sous les pavés, l'enfer

Des enfants qui n'ont connu que la guerre

C’est la tragédie de l’Occident. On pleure, on exhorte, on s’enflamme. On « hashtag », on prononce bien « eu-lè-po ». Les réseaux sociaux, la presse papier et les JT sont formels: la reprise d’Alep par le régime de Bachar al-Assad annonce un génocide. Sans corridor humanitaire pour évacuer les réfugiés, on s’oriente vers un massacre. Et que font les occidentaux ? Il se regardent le nombril comme toujours ! Les youtubers syriens nous aurons prévenus…

Pourtant, dans le monde entier, l’Occident et les pays sunnites sont les seuls à se plaindre de la situation, à lancer  des déclarations prophétiques sur la violence à venir. Partout ailleurs, l’information fait état de la « libération » de la ville martyre et on se passe en boucle les scènes de liesse captées dans des quartiers qui nous sont parfaitement inconnus: les quartiers pro-régime (les deux tiers de la ville au moins). C’est une Alep que nous ne connaissions pas, nous qui avions l’habitude de contempler l’effrayant spectacle des ruines interminables filmées par drone. Des habitants pleurent d’émotion car la guerre semble enfin se terminer par la victoire d’un régime, certes réputé autoritaire, mais véritable barrage contre le sunnisme fondamentaliste. Pourquoi, alors, ne nous réjouissons-nous pas ? Pourquoi souhaite t’on envoyer des casques bleus et bloquer la progression de l’armée régulière au risque de faire durer le conflit en longueur ? Notre pacifisme extrême s’est-il tu pour laisser place à un bellicisme sans vergogne ?

Notre pacifisme est réactionnaire. Nous sommes revenus en 2011. Le printemps arabe est, aux yeux d’une gauche européenne prenant d’improbables accents néocolonialistes, une haute lutte d’étudiants cairotes, tunisois ou damascènes en vue d’accéder à la démocratie occidentale et au régime libéral (en d’autres circonstances honnis). Nous qui n’apprenons jamais, refusions à l’époque de voir que le grand mouvement de contestation populaire égyptien ou tunisien fut en fait dirigé contre une promesse sociale que le nationalisme arabe n’a jamais tenue. Ce nationalisme, que l’on prenait hier déjà pour une accession à la modernité politique occidentale d’une civilisation islamique vaincue et arriérée car religieuse, rend en réalité son bail d’un demi-siècle au véritable propriétaire des lieux: l’Islam et son sens hors du commun de la fraternité communautaire. La Syrie n’échappe en rien à ce schéma. La poignée de manifestants qui contestait l’état d’urgence maintenu par le régime al-Assad a été submergé par l’opposition sunnite et fondamentaliste d’un régime chiite et nationaliste. Ceux que nous appelons « rebelles modérés » sont en fait un agglomérat de factions sunnites dont faisaient partie, il n’y a pas si longtemps, Al-Nosra et Daesh. Manque de bol, ce sont ces derniers qui disposaient de la meilleure rentabilité militaire. Ce sont nos fantasmes qui tuent. À Alep, les derniers retranchés à avoir combattu alors que tout était perdu sont des fanatiques d’avantage proches des derniers SS luttant dans Berlin que de « modérés ». Les sunnites aleppins ont perdu la partie et, aussi ouverts que puissent être les civils de cette obédience, leur défaite et ses conséquences politiques leur font peur et conditionnent leurs appels à un Occident auquel ils savent quoi dire: génocide, racisme, nombrilisme. Si on ne peut éluder la question des possibles exactions, certes monstrueuses, mais malheureusement coutumières des fins de guerre, il faut être prudent sur la véracité des informations reçues. 

Notre réaction traduit notre inconscient. Nous ne supportons pas de se trouver la où nous sommes: dans le camp des perdants. Dans le camp des méchants donc, aux yeux de l’Histoire. Paradoxalement, nombre d’anti-conformistes français critiquant systématiquement un Occident qui se croirait au dessus de tous sont pourtant les derniers à croire dans sa super-puissance. Ils ont raison de rappeler que les occidentaux ont participé à la déstabilisation de la région pour des intérêts géostratégiques (il s’agit de gaz, eux disent de pétrole car c’est plus « rebelle », mais ne chipotons pas pour si peu). En revanche, ils précisent moins que les occidentaux n’ont pas fait ça tout seuls. On ne mentionne que rarement l’intérêt monumental que voyait le Qatar dans le gazoduc qui lui aurait permis d’augmenter ses exportations de méthane vers l’Europe et de couler définitivement son voisin iranien.  On ne parle jamais du fait que la Russie n’est pas intervenue pour l’honneur mais pour protéger sa sphère d’influence et son hégémonie gazière sur l’Union Européenne. Le contrat conclu avec al-Assad a été rompu sous la pression de Poutine, le printemps arabe a été fomenté par l’administration Clinton. Remettre l’équation sur le papier permet de se rendre compte que l’axe Russie-Iran-Assad et l’axe Occident-Sunnites ont autant de casseroles aux fesses qu’ils ont d’intérêts à protéger. C’est un combat froid et amoral que notre axe a perdu. Et nous devons accepter que nous ne pouvons plus rien pour nos alliés vaincus. Nos moyens financiers, politiques et militaires ont déjà été investis dans la bataille et sont aujourd’hui en ruine.

Militairement et économiquement, on voit très bien le problème. Ce n’est un secret pour personne: sans les américains, l’Europe ne peut rien. L’armée française est la meilleure du continent mais ne peut mener deux guerres de front et, même si nous n’étions pas impliqués au Mali, on peut se demander si nous aurions eu les moyens de participer au conflit au sol. La réponse est presque évidemment non. Et puis, pesions nous politiquement assez lourd pour pouvoir imposer une intervention militaire dans la sphère d’influence géographique de Poutine sans risquer l’escalade ? La aussi, la réponse est négative. Nos mauvais choix militaires, économiques et stratégiques de ces quarante dernières années ont fait éclater notre faiblesse au grand jour. De surcroît, les américains, déjà sous Obama, ont compris que la défaite était inéluctable et que ce conflit était un gouffre sans intérêt: l’Europe ne compte plus, l’avenir du monde ne se joue plus la-bas. À quoi bon se battre pour leur facture de gaz ? L’importance de la Chine et l’utilité de la Russie dans le nouvel ordre du Pacifique intéresse d’avantage les Yankees qui nous abandonne à notre sort.  

Enfin, nos alliés locaux font, permettez-moi, débat. On pense à la célèbre phrase de Pasqua prononcée dans son inénarrable accent Corse: « avec des amis comme ça, on n’a pas besoin d’ennemi ». Les rebelles modérés, comme dit plus haut, ne sont pas de la teneur présentée. Les groupes qui se sont individualisés par leur cruauté ont rapidement posé un problème à notre besoin bien de chez nous de justifier nos choix stratégiques par un point de vue moral. Il fallait dès lors adopter une position de « ni-ni » (pour reprendre une expression chère à Sarkozy): ni Bashar ni Daesh. On bombarda, on fit évidemment des victimes civiles collatérales et on donna donc l’occasion à la doctrine al-Suri de justifier à son tour son action par un point de vue moral: l’Occident mérite les attentats, il est raciste car il bombarde des musulmans civils et donc innocents. Si ce n’est pas un comble ça ! Des fanatiques terroristes qui ont roulé sur nos enfants en camion au simple internaute pseudo-intellectuel, l’anti-occidentalisme primaire s’est redonné une raison d’exister. La communauté musulmane sunnite française s’est laissée abuser par une information biaisée les invitant à condamner l’Occident raciste en érigeant comme cause commune la mort des enfants syriens, afghans, palestiniens et le martyr de leurs ancêtres colonisés. Une machine à diviser les nations par deux s’est instaurée en Europe et particulièrement en France. 

Pétrifiée par les accusations de racisme qui pleuvent, les progressistes acceptent de relayer les informations et la propagande de personnes qui devraient être en prison. Ainsi, alors que plusieurs membres de l’ONU commencent à les considérer comme des factions aux actes abusifs, les Casques Blancs nous sont toujours présentés comme les héros des civils syriens. Sur Facebook, on partage les vidéos larmoyantes du groupe BarakaCity, organisme humanitaire dont le président, Idriss Sihamedi, a refusé de serrer la main de la ministre Belkacem (sous prétexte qu’elle est une femme) et de condamner Daesh. Il aurait pu condamner pourtant: les souffrances des civils syriens bombardés dans la lutte contre Daesh ne servent plus seulement la propagande du Califat mais celle de tous les groupes islamistes qui comptent bien aller encore plus loin en présentant Daesh comme un complot américano-sioniste visant à justifier une énième action violente contre les musulmans. Tous ces groupes sont sunnites, ça va sans dire. Le conflit est entré chez nous. 

La France devrait donc peut être commencer par accepter que ses choix furent des erreurs et qu’elle a loupé une occasion de peser dans le monde de demain. Mais un travail d’introspection et de réparation est possible afin de réinscrire notre nation dans les pays qui comptent et qui, de ce fait, peuvent peser idéologiquement dans la balance internationale. Crier au génocide du fond de sa chambre sans source tangible n’amènera au mieux qu’à ridiculiser notre action et au pire à rendre interminable une guerre qui se prolonge déjà depuis trop longtemps. Soyons matures et apprenons à gérer nos difficultés internes avant d’avoir des vues sur ce que doit être l’humanité. Soignons aussi encore notre capacité à ériger des alliances sincères et dans l’intérêt du peuple. Alors, peut-être, pourrons-nous un jour porter un projet de fraternité des peuples à la hauteur de nos espérances. Pour ça, il va falloir apprendre à accepter la réalité du temps long et de l’Histoire. -MP

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