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Le Club des Insurgés
4 mai 2016

Jeu migratoire

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La Croix-Rouge et certains professeurs proposent une immersion consistant à placer une classe de lycéens dans la peau des migrants. Ce jeu de rôles a été imaginé et essayé en Norvège ou dans un quelconque pays nordique, on ne sait jamais, pourvu que l’on puisse invoquer le désormais mythique “modèle scandinave”. C’est un modèle que l’on aime beaucoup, si bienveillant, si maternel. En somme: un modèle en rupture totale avec nos habitudes de sociétés latines incorrigiblement fondées sur l’autorité du père et de son oeil inquisiteur porté sur l’étranger qui vient demander la main de sa fille.

Le jeu consiste donc à faire entrer les lycéens dans une sorte de délire empathique en les regroupant par cinq pour qu’ils s’imaginent avoir la responsabilité de leur propre famille dans un environnement hostile, fuyant la guerre avec peu de nourriture (mais que fait Françoise Dolto ?). Ce qui n’est pas très réaliste puisque les réfugiés de guerre font ce que la plupart des réfugiés de guerre font depuis que la guerre existe: ils restent le plus à proximité de chez eux (Turquie, Liban, Jordanie, etc..), seuls les jeunes hommes vont tenter leur chance plus loin afin de trouver du travail, même si la télévision focalise toujours sur les familles qui viennent malgré tout. Sans compter que la majorité des migrants ne sont pas des réfugiés. Pour que ce soit vraiment réaliste, il faudrait laisser plusieurs élèves évoluer en loups solitaires, confisquer l’aide alimentaire pour monter un marché noir, organiser une filière de cambriolage en exploitant les enfants et une filière de prostitution en exploitant les femmes. Mais les adolescents (vous savez ce que c’est) risquent de répondre que c’était “trop cooooool”, ce qui est assez éloigné de l’objectif pédagogique initial. Bref, les sales gosses occidentaux doivent rester des heures à marcher dans le froid puis atteindre une frontière symbolique qu’un intermittent du spectacle revêtu d’une tenue de l’armée démilitarisée (ce qui le fera vraisemblablement ressembler à un punk-à-chien) leur interdira de franchir. Les petits démons capitalistes, réalisant qu’ils ne pourront pas recharger leur Iphone pour finir leur niveau sur Candy Crush, s’identifieront alors aux migrants et pleureront de rage lorsqu’il réaliseront qu’en dépit de ce que leur ont appris les libertaires depuis toujours, lorsque le monsieur a dit non, c’est non. Horrible.

Rien n’a franchement changé depuis mai 68, la lutte contre l‘autorité bat toujours son plein: la frontière c’est le clivage, le rejet évident de l’Autre, la discrimination et donc - par un pont de singe intellectuel un peu malhonnête - le racisme. Le problème, c’est que cette rébellion adolescente n’est plus l’affaire d’étudiants révoltés du carrefour de l’Odéon mais bien celle de l’éducation nationale. Finie la contestation de la rue et bonjour l’autorité de l’instruction publique. Mais ne leur dite surtout pas qu’ils tiennent l’idéologie dominante: ça les fait convulser. Et ça fait des années. On peut remarquer que la longévité de leurs idées dans le débat public français a maintenant pris la forme d’un conservatisme assez particulier puisqu’il se fonde sur la perpétuation inconditionnelle et sans aucun recul possible d’un progressisme vengeur et destructeur dont la finalité absolue est la glorification d’un “moi, unité sociale indispensable”: apogée du consentement individuel pour certains, égoïsme individualiste et logique consumériste pour les autres.

C’est une idéologie qui peut, en fonction de l’humeur, s’avérer intellectuellement tantôt irritante ou tantôt récréative mais c’est une idéologie quand même et elle mérite qu’on la traite comme telle. Aussi, cette grossière opération de propagande n’est qu’un outil et ne peut être comprise comme un argument “anti-nombriliste” qu’à grand renfort d’interventions de journalistes lettrés et cultivés (genre une Léa Salamé ou un Yann Moix) et de philosophes reconnus par leurs pairs (insérez ici un BHL aléatoire). Avec le même exercice, mais organisé par le gouvernement de Damas dans les lycées syriens, Bachar Al-Assad convaincrait les siens, qu’au contraire, il ne faut pas aller en Europe mais rester pour la survie du pays et pour bâtir la Syrie de demain. La même démonstration donc mais au service du nationalisme. Les libertaires en feraient des cauchemars.

Moi, en revanche, je propose qu’on aille plus loin dans l’exercice. Il faut montrer jusqu’au bout ce que sera la vie pour les migrants s’ils passent la frontière, puisque certains y arrivent. Je propose donc qu’après des mois passés à attendre dans la boue, dès que ces petits obèses égoïstes seront mûrs, on leur ouvre la frontière avec de grands sourires béats et une chaleureuse cérémonie de bienvenue. On leur annoncera alors qu’ils auront bien du boulot et on les fera travailler à la chaîne dans une usine Volkswaggen, cinquante heures par semaine pour 400 € par mois. D’autres intermittents seront embauchés pour jouer des allemands touchant trois fois plus et organisant un pot pour leur départ à la retraite. Avec des pensions que ces petits salauds de mini-bourgeois, dans leur rôle comme dans leur vie, ne pourront jamais espérer obtenir en fin de carrière. D’autres intermittents encore seront embauchés pour jouer une manifestation d’allemands chômeurs, beaucoup trop chers pour être embauchés, qui auront la rage contre eux, qui refuseront la religion du Vivre Ensemble et les discrimineront. Alors, un libertaire plein aux as dira à ces mangeurs de BigMac qu’ils peuvent faire venir leurs enfants mais, attention, “pas de travail Momo, ou payé moins cher encore”. Et puis on leur distribuera Le Capital, l’ouvrage de Karl Marx, en leur expliquant ce que le vieux entendait par immigration comme “armée de réserve du Grand Capital”. Et il comprendront alors que les libertaires sont le collaborateur le plus discret mais le plus efficace des libéraux. On essaye ? MP

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