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Le Club des Insurgés
1 juin 2016

Karim Benzema: mais pourquoi est-il si méchant ?

Karim Benzema, attaquant du Real Madrid

Nous sommes en 2007. Je suis installé dans ma cuisine, à Calais, j’ai à peine 17 ans et ce soir l’équipe de France de football rencontre l’Autriche, futur pays hôte de l’Euro. L’année précédente, j’ai vibré avec ma famille, tous agglutinés sur la télé du salon, devant les derniers coups de génie de Zidane à la coupe du monde et pleuré devant l’injuste défaite des Bleus en finale. Le numéro 10 de mon enfance, héros de 98, n’est plus là et Thierry Henry est sur le départ. Ça sent la fin d’une époque. L’équipe nationale saura t’elle se renouveler ? Les journalistes sportifs sont réservés mais je veux y croire: les nouveaux Bleus seront au moins aussi forts que leurs prédécesseurs, j’en suis persuadé. J’ai hâte de voir les nouvelles têtes, la relève. Le match commence. Samir Nasri court partout, il dribble, je me régale, une retournée acrobatique ! Dommage, ça passe à côté. Mais, seigneur, quel joueur. Il est maintenant en bas à droite de mon écran, le score est toujours vierge mais tout ça est fort prometteur, il centre à raz-de-terre, Benzema la reprend, eeeeeeeeet but ! Première sélection et premier but ! Comme Zizou ! Je saute de joie, à nous l’Euro 2008 !

Nous sommes en 2016. L’équipe de France nous a fait cauchemarder jusqu’en 2014 où on a enfin eu droit à un quart de finale de coupe du monde. Bon niveau global mais rien de transcendantal non plus. Même quand on n’a pas le bagage technique pour pouvoir parler football sérieusement, on sait qu’aligner dans une même phrase les mots “équipe de France” et “Anelka” ou “Ribery”, “Domenech”, “Nasri”, “Evra”, “Afrique du Sud” inspire à tous les français le mauvais jeu, le dégoût, la honte. Quand on repense à cette période, on repense aux clashs, aux insultes, à la culture racaille-riche avec ses joueurs inefficaces au possible, surpayés, qui snobaient des fans qu’ils ne méritaient pas, un casque vissé sur les oreilles. Les quelques améliorations de comportement auxquelles on eut droit fleuraient bon l’intervention de communiquants à des kilomètres à la ronde. Parfois même, les clubs des joueurs faisaient la police de peur que les saillies des Bleus ne se répercutent sur leur image (comme en 2010, où seul Chelsea avait réussi à faire taire Anelka).

Pourtant, le plus éprouvant pour un supporter, ce n’est même pas ce constat accablant. C’est le fait qu’à chaque embellie, toujours de courte durée, on y a cru. On a cru à la sortie de crise. On s’est investis. On s’est forcés même. On s’est émerveillés devant ce que les “joueurs des plus grands clubs européens” voulaient bien nous jeter à ronger. Un passement de jambe, un une/deux réussi et nous n’étions que louanges et tendresses. Les journalistes sportifs rouspétaient, nous traitaient de naïfs. Depuis qu’ils s’étaient plantés en 98, on ne les prenait plus toujours très au sérieux. On attendait les buts de Benzema. On les attendait comme les personnages de Samuel Beckett attendaient Godot.

Et puis on s’est lassés. On en a eu marre de leur frasques, de leur thune, de leurs Zahia et de leurs Ferrari. On a calqué nos réalités sociales sur cette équipe et on l’a divisée en deux, comme notre société est divisée en deux. D’un côté les joueurs qui n’ont qu’une religion, l’argent, et qui n’ont ni port ni patrie. Et de l’autre, les petits gars, travailleurs, naturellement sympathiques, qui ne font pas de vague et qui se donnent. On s’est alors enthousiasmés pour ces derniers. Les Griezmann, Gignac, Payet, Cabaye, Coman… on excuse une maladresse de Rami en défense et Payet nous offre la victoire d’un sublime coup-franc direct. C’est un peu brouillon mais on en redemande.

En faisant cela, nous avons manqué de respect à la féodalité du football, du business-football plutôt. Les égos surdimensionnés de nos seigneurs fainéants sont meurtris, blessés. Et ces grands adolescents égoïstes ne supportent pas l’idée même d’une remise en cause de leur présence sur le terrain. Ils piquent leur crise, pleurnichent, ce n’est jamais de leur faute, ce sont eux les victimes. Karim Benzema, encouragé par Eric Cantonna, s’est alors souvenu qu’il avait une couleur de peau et une religion, un pays d'origine et un quartier dans lequel il a grandi. Une communauté. Relayée par Jamel Debbouze, la complainte de Benzema montre qu'il n'a eu qu'un pas à franchir entre la scène de la mondialisation ultra-libérale section sport et celle de l'idéologie libertaire multi-culturelle. Alors que ce sont principalement des raisons d'ordre moral et sportif qui ont justifié son éviction de la liste des vingt-trois joueurs retenus pour l'Euro 2016, il explique que ce choix est la conséquence d'une pression raciste. Mais, dans une France qui n'en peut plus d'être traitée de raciste pour un oui ou pour un non et qui commence à le faire savoir, l'idéologie libertaire a appris à se faire méfiante. Elle a affiné son discours, son image, ses recours, ses parades et nous nous sommes habitués à un duel au fleuret avec elle. En sortant sa grosse excalibure anti-raciste du fourreau des années 80, l'ami Karim a révélé qu'il était un peu rouillé pour cet exercice. Sa carte "joker" d'amateur choque les joueurs expérimentés de sa propre équipe qui n'ont pas envie de voir leurs années d'entrainement et d'approche stratégique anéanties par la seule action d'un bourrin. Alors, son propre camp le dénonce, le marginalise, fustige des propos malheureux et assure que l'équipe de France est assez multicolore pour ne pas être invalidée (ce qui est complètement raciste, la France n'est pas un laboratoire de dosage de mélanine mais une patrie culturelle et politique). Les nostalgiques de la vieille France ont tort de dire que la nouvelle aristocratie ne se soucie pas de sa pureté. MP   

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